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Quand il évoque son travail, Richard Tuttle parle d’une expérience pré-verbale, engagée sur un

plan purement visuel. C’est la visualisation d’une pensée qui passe. Silvia Bächli quant à elle investit ce qui est du domaine du ressenti. Elle met en évidence une réalité faite de fragments, de frôlements. « Je cherche à flairer les traces des mots que l’on a sur le bout de la langue sans que que l’on puisse les nommer exactement »1 . « Il est possible que l’on sente ressurgir le figuratif même s’il n’y a que peu de signes qui l’indique avec certitude.»1

 

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1 Extraits de l’entretien avec Silvia Bächli, par Anaël Pigeat et J.Emil Sennewald, in Roven n°3, mars 2010.

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La technique du dessin, souple et immédiate, permet de saisir plus que tout autre technique la fugacité d’un moment. Plutôt que le langage, j’utilise l’image. Mes dessins naissent d’une expérience du réel, d’une expérience qui me marque. Par un exercice de mémoire je retranscris des éléments de forme et de couleur. Un imposant aplat de vert rappelle la blouse du dentiste, un trait jaune vif à la bombe de

peinture évoque l’éblouissement d’une lumière ou encore une superposition de couches

de bleu appelle à la profondeur de la mer. A partir de cette matière picturale, la

disposition dans l’espace amène à des jeux de compositions visuelles.

Les installations, sculptures et dessins de Sterenn Lanco sont des annotations visuelles destinées à marquer et à rythmer l’espace comme autant de vibrations sensorielles que le spectateur est invité à activer. Pour l’artiste en effet, l’exposition  (d’une seule œuvre ou d’un ensemble) est un acte d’écriture spatiale décrivant des accords harmoniques, des jeux de rebonds et d’échos entre les formes invoquées. Conçue comme une partition picturale, elle a vocation à mettre en mouvement et à réinscrire dans le présent un vocabulaire de formes propres à l’artiste et s’articulant autour de motifs, de matières et de nuances récurrentes (le métal, la couleur du sable…). Moins traductions littérales que synesthésies, les éléments de cet alphabet renvoient à des sensations rattachées à des événements précis et vécus par l’artiste, mais qu’elle ne cherche pas à dévoiler. La picturalité des formes l’emporte sur son origine. Proche de l’écriture mémorielle, la pratique de Sterenn Lanco développe ainsi un système de signes abstraits lui permettant de traduire la fugacité d’expériences et révélant comment ces dernières s’impriment dans la psyché sous la forme de détails saillants et fragmentaires. Dans ce torrent de sensations instables qu’est le réel, l’artiste a attrapé au vol et déployé des centres de gravité, ces pôles multi-sensoriels autour desquels l’attention se concentre et les sentiments (bonheur intense, traumatisme…) se cristallisent. Telles des partitions visuelles, figures, textures et couleurs résonnent alors par elles-mêmes mais aussi les unes avec les autres dans des combinaisons ouvertes.

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Julie Ackermann, 2020.

Sur invitation de Documents d’Artistes Bretagne pour BASE

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